Voyage à Yoshino de Naomi Kawase
avec Juliette Binoche, Masatoshi Nagase
En salles le 28 Novembre – Japon – 1h49
Jeanne, une essayiste française, est à la poursuite d’une plante médicinale japonaise aux vertus révolutionnaires. Elle ne pousserait qu’une fois par millénaire dans la forêt de Yoshino, là où vingt ans auparavant, Jeanne a connu son premier grand amour.
Dans Voyage à Yoshino une Française cherche au Japon le sens de sa vie. Le nouveau film de Naomi Kawase trouve lui l’essence de son cinéma. Si Jeanne remonte inconsciemment vers son passé, la réalisatrice Japonaise y revient également en situant Voyage à Yoshino dans la province de Nara, la terre de son enfance. Elle fait de cette forêt bien plus qu’un simple décor. Kawase la filme en sanctuaire quasi-magique qui fait remonter à la surface des émotions que Jeanne avait enfouies. Car le séjour de cette dernière va bien au-delà d’une quête pharmaceutique : elle est là pour guérir de son mal-être. Pour la guider elle rencontre Tomo, un garde forestier qui a quitté la vie urbaine depuis des années. Il connait la forêt de Yoshino comme sa poche. Tout comme Aki, l’une des rares présences que Tomo supporte. Plus encore que lui, elle « sent » la forêt. Cette vieille herboriste aveugle est sensible aux moindres changements qui se manifestent dès l’arrivée de Jeanne.
La présence de Juliette Binoche, première actrice occidentale à pénétrer dans l’univers de Kawase, a l’effet de renforcer les thèmes récurrents de la cinéaste : la nature comme exutoire des sentiments (La forêt de Mogari – 2007, Still the water – 2014, Hanezu, l’esprit des montagnes – 2011) ; l’importance de la transmission intergénérationnelle (Les délices de Tokyo – 2015), voire le prolongement d’une relation quasi-chamanique à la maternité (Genpin, la maternité dans les bois – 2010) ou l’idée de l’aveuglement qui cache une cécité de soi (Dans la lumière -2017) … Voyage à Yoshino agit comme une symbiose de ses films précédents. Kawase l’assimile à une sorte de photosynthèse régénératrice jusqu’à donner à la plante miracle que recherche Jeanne, le nom symbolique de Vision.
Plus que jamais, tout est question ici de connexion pour ne pas dire de reconnexion. Lorsque Tomo ramène au camp un jeune homme blessé, il n’est pas formulé par Kawase ou Binoche, que Jeanne le connaît déjà. L’alchimie entre l’actrice et la réalisatrice se révèle dans ce qu’elles parviennent à induire instinctivement chez le spectateur. Comme si Kawase avait trouvé en Binoche, la représentation parfaite de toutes les secousses intérieures ressenties par les personnages qu’elle a écrits jusque-là. Voyage à Yoshino en finit par fluidifier les langues (on y parle autant français que japonais ou anglais) et les cultures, absorbées par cette forêt qui a de plus en plus des airs de cocon végétal. Nous aurions presque la sensation de toucher la moindre feuille, la moindre herbe, dans ce lieu hors du temps. Un lieu d’accouchement, de ré-accouchement de soi et de son rapport au monde.
A.M