Un roman de Hiromi Kawakami
Seize nouvelles et autant d’histoires d’amour(s). Tel est Un matin légèrement nuageux, le dernier recueil signé Kawakami Hiromi, paru l’année dernières aux Éditions Picquier. Seize femmes – jeunes et moins jeunes – posent leur regard sur elles-mêmes, sur les hommes, sur la vie qui les entoure, qui coule malgré elles ou qui leur colle à la peau. Poétique et sensible.
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Un petite collection d’amour(s), un assortiment. Comme une boîte de chocolats, de petites bouchées littéraires. Les seize nouvelles qui composent Un matin légèrement nuageux tiennent chacune dans une vingtaine de pages et ont chacune leur goût – légèrement sucré, acide, amer, drôlement salé – car l’amour a plusieurs goûts.
Il y a Sayo, qui a plusieurs amoureux et se demande lequel – s’il y a un – elle aime le plus. Ou encore Yuma, qui travaille derrière le bar du snack de sa tante et, sous l’impulsion des clients, fait un vœu lors de Tanabata. Il y a l’écrivaine publique de la nouvelle « Belles-de-jour », qu’un jeune homme embauche pour rédiger une lettre d’amour à une femme bien plus âgée. Seize femmes, seize instantanées de la condition de la femme au Japon.
La voix/voie des femmes
Attention, toutefois : ce n’est pas parce qu’il est ici question d’histoires d’amour qu’on a affaire à un livre romantique. Et ce n’est pas parce que les narratrices sont des femmes que c’est pour les femmes que le livre a été écrit. Il y a, dans la prose de Kawakami Hiromi, un certain female gaze. Les protagonistes de Kawakami sont avant tout cela, des observatrices. Et ce n’est pas un regard féminin universel, mais bien celui des femmes japonaises, mis à l’épreuve d’une société qui ne leur accorde pas beaucoup d’espace.
Ce n’est donc pas un hasard si ses nouvelles sont emplies de sentiments qui, ailleurs, ne trouveraient peut-être pas autant de place. On y découvre du regret, des amours à sens unique, des silences, de l’hésitation, la reddition aux conventions. Dans un pays où les femmes parlent une langue spécifique – le onna kotoba – plus poli, indirect, discret et cérémonial, leur regard a aussi sa syntaxe et sa grammaire.
Kawakami Hiromi, l’écrivaine des bonnes nouvelles
Avec sa prose directe mais discrète, lucide mais jamais trop franche, Kawakami a contribué à féminiser un panorama littéraire jusqu’alors très masculin. Biologiste de formation, elle a commencé avec la science-fiction. Cet amour pour le fantastique se fraie même un petit chemin dans Un matin légèrement nuageux avec les nouvelles « Le couloir » et « Adieu, mon double ».
Traduite en plusieurs langues, l’écrivaine tokyoïte de 66 ans a été maintes fois récompensées pour son œuvre. Côté nouvelles, elle a reçu le Prix Akutagawa, le prix Bunkamura des Deux Magots et le Prix Murasaki Shikibu. Pour son roman Les années douces, en revanche, elle a remporté le prestigieux prix Tanizaki.
Comme quoi, il n’y a nul besoin de parler fort pour se faire écouter…
EDG
Parution : 2023 / 178 pages / Éditions Picquier / Traduit du japonais par Elisabeth Suetsugu