Skip to main content

Un livre de David Peace

Tokyo, le 6 juillet 1949. Le président des chemins de fers japonais, Sadanori Shimoyama, est retrouvé mort sur les rails qui mènent à Adachi. Meurtre ? Suicide ? Ce fait réel qui a secoué le Japon d’après-guerre est au cœur de Tokyo revisitée, le dernier opus de la trilogie japonaise signée par le britannique David Peace. Savant mélange de réalité et de fiction, de polar et d’expérimentations littéraires, Tokyo revisitée vous plongera dans les tréfonds de la capitale – et de l’histoire – nippones.

acheter le livre

L’« accident de Shimoyama », un fait réel qui a secoué le Japon

Nous sommes en 1949. Le Japon est vaincu et occupé par les Américains, défait dans toutes les nuances du terme. Alors qu’il essaie de se reconstruire le long des tuteurs qui lui sont imposés par l’occupant, le tout nouveau président des chemins de fers est retrouvé en morceaux le long des rails. Il était sur le point de licencier 100 000 travailleurs soupçonnés d’affiliation au parti communiste et pour cela même faisait l’objet de menace de mort. Aussi, la perspective de ce licenciement massif l’a peut-être acculé face au vertige de sa fonction. Alors, meurtre ou suicide ?

Le Shimoyama jiken ou « accident de Shimoyama » est bien plus qu’un fait divers. C’est une blessure non élucidée – donc impossible à panser – d’une société encore meurtrie par l’issue de la Grande Guerre. Une blessure qui continue de picoter et de se rappeler douloureusement même de nos jours. Toujours mus par des faits réels, David Peace en a fait le premier engrenage de Tokyo revisitée, le troisième et dernier tome de sa trilogie nippone après Tokyo année zéro (2007) et Tokyo ville occupée (2009).

La fiction, loupe de la réalité

L’accident de Shimoyama a fait et continue de faire couler beaucoup d’encre. Le rôle des Américains et du gouvernement japonais dans cette affaire hors norme ne peut être exclus. Pour tenter d’apporter une lumière nouvelle sur l’affaire, Peace construit une fiction à la vraisemblance troublante.

Premier pion dans ce monumental jeu d’échecs (« échecs » à prendre dans tous les sens du terme) : Harry Sweeney. Détective du Montana échoué (dans tous les sens du terme, toujours) à Tokyo, il se retrouve, bien malgré lui et sans succès, à tenter d’élucider une affaire plus grande que lui, aussi grande et complexe que l’époque qu’elle marque. Deuxième partie, 15 ans plus tard. Nous sommes en 1964, Tokyo accueille les Jeux Olympiques. Un auteur écrivant sur l’affaire disparaît mystérieusement et un détective privé, Murota Hideki, est mis sur ses traces. Troisième partie, 15 ans plus tard toujours. En 1989, alors que l’empereur Hirohito est sur son lit de mort, un vieux traducteur, Donald Reichenbach, ancien agent de la CIA, se retrouve face à son passé, au souvenir de Harry Sweeney et de cette sacrée année 1949…

Tokyo revisitée revisite le polar

Le roman de David Peace obéit et déroge à toutes les règles du polar. Trilogie dans la trilogie, Tokyo revisitée change de ton selon le segment – 1980, 1964 et 1989 – et le protagoniste. Ouvertement inspiré par la recherche stylistique de James Ellroy, David Peace ose vêtir son polar d’un habit de langage inattendu. Les répétitions martelantes et pourtant si rythmées, l’absence de signes indiquant les dialogues, un temps présent omniprésent et suspendu : tous les choix de Peace brouillent les pistes et les fausses certitudes. Réalité ou fiction ? Fiction ou hallucination ? Rêve ou invention ?

Le terrible « accident de Shimoyama », une affaire dont l’importance au Japon est, selon Peace, aussi capitale que l’assassinat de JFK, gagne à la fois en lumière(s) et en épaisseur(s) avec Tokyo revisitée. On n’est pas sortis des brumes d’un mystère d’état mais peut-être, si le brouillard est aussi épais, c’est que nous sommes en son cœur.

EDG

Parution : 2022 / 300 pages / Coll. Rivages Noir / Traduit de l’anglais par Jean-Paul Gratias