Du 07/10 au 06/02
Secrets de beauté à la Maison de la Culture du Japon
101bis quai Branly, 75015 Paris
Mardi-samedi > 12h-20h
Fermé les jours fériés
Tarif 5 € / réduit
Lèvres couleur de coléoptère, architectures de cheveux noirs, sourcils réinventés et dents noires de femme mariée… L’époque d’Edo se raconte à travers les méticuleux rituels corporels de ses femmes. Chaque classe sociale a ses marqueurs et l’aspect de ses membres est un grand livre ouvert où l’on devine à partir d’un chignon, d’un choix de rouge ou d’une nuance de blanc, la place qu’elles occupent. À travers des centaines d’estampes et d’objets, la MCJP vous invite à la découverte de deux siècles et demi d’Histoire en glissant le regard dans l’intimité des salles de bain.
À la fin de ma grossesse et en plein confinement, donc à l’apogée de mon incapacité personnelle et de l’illégalité générale d’avoir une vie sociale, j’avais les cheveux constamment noués dans cette sorte de chignon nonchalant que les Parisiennes ont réussi à justifier aux yeux du monde comme une coiffure en bonne et due forme. Pendant les quarante jours qui ont suivi la naissance de ma fille, j’ai gardé la même coiffure, à ça près que je ne lâchais plus mes cheveux avant de m’écrouler et que le chignon d’autrefois s’était peu à peu transformé en croisement entre un ananas et un cumulonimbus.
La très riche exposition Secrets de Beauté, organisée par la Maison de la Culture du Japon à Paris en collaboration avec le POLA Research Institute of Beauty & Culture, nous embarque dans un voyage à la découverte de femmes à la routine beauté beaucoup moins approximative et de rituels corporels aussi complexes qu’étonnants. En parlant de chignons (mage, en japonais), tiens, il en existait des centaines à l’époque d’Edo, allant de l’élaboré à l’incroyablement élaboré (rappelez-vous, c’est Madame Ananas-sur-Tête qui vous parle), variations sur quatre modèles de base. Saviez-vous aussi qu’à la même période les femmes mariées se teignaient les dents en noir avec un mélange de vinaigre, saké, clous cassés et noix de galle ? Et qu’à la naissance de leur premier enfant elles se rasaient les sourcils ?
Les 150 estampes et 60 objets du quotidien exposés révèlent en effet le rôle joué par le maquillage et la coiffure avant qu’avec l’ouverture de l’époque Meiji l’Occident infiltre ses rites et ses postures : le corps de la femme, vêtu, coiffé et maquillé, doit dire à la société à l’intérieur de laquelle il bouge, où il en est avec cette même société. Épouse de marchand, riche courtisane ou fille de noble, mariée ou célibataire, primipare ou vieille fille, il n’y a pas coiffure, tissu de kimono ou nuance de maquillage qui ne spécifie pas très exactement la place de la dite femme dans la société. Face à tant de contraintes, les Japonaises de l’époque d’Edo (tout comme toutes les femmes de tous les lieux à toutes les époques) ont dû se creuser la tête pour contourner les règles et s’approprier leurs corps et le sublimer à leur façon. Comme quand une loi voulut interdire les pics à cheveux qui ornaient les coiffures des courtisanes, pics jugés trop érotiques et allusifs, et qu’on commença à les sculpter avec une petite spatule sur l’une des extrémités. Quand un représentant de la bienséance venait embêter l’une d’entre elles, voilà qu’elle sortait l’excuse en or : la spatule servait à se nettoyer les oreilles et ce pic si coquin n’était rien d’autre qu’un innocent objet d’hygiène !
L’exposition, organisée en deux volets allant du 7 octobre au 28 novembre, puis du 3 décembre au 6 février 2021, s’articule d’abord autour des trois couleurs phare de la beauté façon Edo (le blanc, le rouge et le noir), se dirige vers le langage de la coiffure et se clôt avec trois séries d’estampes ukiyo-e à la beauté sans nom : Cent belles femmes et sites célèbres d’Edo d’Utagawa Toyokuni III (1786-1864), Le Gynécée du château de Chiyoda de Yōshū Chikanobu (1838-1912) et Trente-deux physionomies d’aujourd’hui de Ichiōsai Kunichika (1835-1900). La première série met en relation la beauté des femmes, jeunes, vieilles, riches, pauvres, mères, concubines, travailleuses ou oisives et des panoramas mémorable de l’ancienne Tokyo.
L’exposition de la MCJP raconte une société à travers ses rituels corporels et montre comment, derrière le fard, se cache toujours un message hautement collectif. Ou pour mieux dire, de tous les temps et tous les lieux, le message est le fard même : ce qui se cache derrière, nul ne le sait.
(edg)