En 2075, Hachimaki est éboueur de l’espace, travail atypique et on ne peut plus banal vu que l’homme, après avoir épuisé les ressources de la Terre et entamé celles des autres planètes, a pollué l’espace avec ses déchets. À ses côtés, Fi et Yuri, ses deux acolytes aux paraboles émouvantes.
Planètes – Perfect Edition 1 de Makoto Yukimura est une saga humaine et environnementale qui parle autant d’Espace que d’espace(s), celui que l’on cherche pour soi, celui que les autres envahissent et celui qui se niche à l’intérieur – parfois bien plus vaste et vertigineux que celui qui nous entoure…
Une épopée de l’espace ou une épopée dans l’espace ?
« Pourquoi tu es venue dans l’espace ? » (…) « Je voulais connaître les limites de mon champ d’action. Jusqu’où s’étend le monde que je dois protéger et jusqu’où s’étend le monde que j’ai le droit de critiquer. » L’essence de Planètes, l’épopée spatiale signée Makoto Yukimura dont Panini Manga vient de publier une édition collector, est toute dans cet échange. Si cette phrase à la portée vertigineuse est prononcée par Tanabe, chaque personnage pourrait parfaitement la contresigner. Car Planètes n’est pas tant une épopée de l’espace mais une épopée dans l’espace, de l’homme et de la femme dans l’espace.
La fine équipe
À bord de la Toy Box, la navette-poubelle, l’équipage est mixte à tous points de vue. Il y a Hachimaki, jeune japonais têtu, voir borné, qui rêve d’avoir sa propre navette et de s’élever au rang de « vrai » astronaute, comme son père. Il y Fi, afro-américaine qui fume comme un pompier et qui s’enflamme comme de la dynamite. Elle a une fille et un mari sur Terre. Mais le conflit sur son rôle de mère, lui, la suit jusqu’aux confins de la galaxie. Il y a Yuri, le Russe paisible que l’humilité ingrate de son métier d’éboueur spatial ne perturbe point. Sa parabole, on la découvre dès les premières pages. Il a perdu sa femme dans un accident de navette et fouille les débris de l’espace à la folle recherche d’une trace. Quant à Tanabe, c’est la petite dernière, recrutée pour remplacer Hachimaki qui part en mission vers Jupiter.
Vaisseau, boulot, dodo
Quand on pense à l’espace, c’est en toile de fond de batailles titanesques. C’est les Humains contre les Autres. Même quand le décor du futur est planté sur Terre, comme dans Invasion, le film de Kiyoshi Kurosawa, il y a nous et il y a les Autres. Ici, c’est l’Homme qui a affaire à lui même, bon gré mal gré. On a beau être en apesanteur, il est question de vie quotidienne. Il y a une équipe de collègues qui font un boulot ingrat (ramasser des ordures flottant dans l’espace). Les pannes, les maladies des astronautes, les salaires trop bas, les pauses clope. Il y a les grandes missions vers Jupiter, certes, mais il y a avant tout les tests d’éligibilité. La prose fondamentale de l’infiniment petit à la base de l’épopée de l’infiniment grand.
2075 : futur (trop) proche
Ceci n’est pratiquement plus un spoiler : l’Homme a épuisé les ressources de la Terre. En 2075, il s’est implanté sur la Lune, a consommé ce qu’il y avait à consommer et jette désormais son dévolu sur Mars et Jupiter. Il se pousse toujours plus loin, certes, mais pour faire toujours les mêmes choses, les mêmes erreurs. Il prend, il achève, il jette, il repart. Dans ce contexte tendu, une menace s’oppose à la sienne : le terrorisme écologique. Tout comme, dans la « vraie vie », se multiplient les actions politiques fortes – voire périlleuses – pour sensibiliser le public à la crise climatique, Planètes met en scène un groupe de Protecteurs de l’Espace. Mais qui est la menace de qui ? L’Homme qui, encore et toujours, s’autodétruit ou le terroriste qui tente par la violence d’ouvrir les yeux de ses congénères ? Le débat est ouvert, même et surtout dans la « vraie vie ».
La solitude impossible de l’astronaute
À la fois grandiose et intime, méticuleux et évocateur, Planètes de Makoto Yukimura affirme haut et fort une seule vérité. Il aura beau se pousser aux confins de la galaxie, il aura beau faire des exploits en solitaire, l’Homme, seul, ne va jamais nulle part. La Femme non plus. On est toujours relié aux autres et notre espace, notre espace intérieur, est à la fois plus vaste et plus exposé que celui qui nous entoure. Il est à la merci des autres. Mieux, il doit être à la merci des autres. Car en l’occupant, les autres l’habitent et, en l’habitant, ils l’aiment. Et s’ils l’aiment, on apprend à l’aimer aussi. EDG