Un livre de Sei Shōnagon illustré par Hokusai
Prenez une courtisane, Sei Shōnagon, un maître de l’ukiyo-e, Katsushika Hokusai, une maison d’édition qui n’a pas peur de la beauté, Citadelles & Mazenod, le regard d’une femme sur son temps et sur ce qui se répète à l’infini, l’art d’un « vieux fou de la peinture ». Ceci est une liste ? Oui. Notes de chevet (Makura no sōshi) l’est aussi, et l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature japonaise, écrit par une femme il y a plus de mille ans et accompagné – illustré à son insu, pourrait-on dire – par l’un des plus grands artistes de tous les temps.
acheter le livreLe vertige de la liste
« Le vertige de la liste », l’appelle Umberto Eco. Depuis la nuit des temps, la littérature et les arts regorgent de revues, de catalogues, d’inventaires. D’abondance organisée. Depuis qu’ils ont une tête et un cœur, les hommes et les femmes ont senti le besoin et le plaisir d’énumérer. D’égrainer. Homère, la littérature gréco-latine, Shakespeare, Rabelais, Rimbaud, Melville… Et au Japon, elle, Sei Shōnagon.
Dame de cour et femme de lettres
Sei Shōnagon, dame de cour et femme de lettres, a vécu le passage à l’an 1000, en pleine époque de Heian. Elle est la dame de compagnie de l’impératrice Fujiwara no Teishi et un pilier de la littérature nippone. Son univers est constitué de choses socialement exotiques : une manège de « chambellans », de « sous-secrétaires d’État », de « vice-gouverneurs de province »… Mais son univers, ce sont aussi des choses qui, de toute évidence, ne changeront jamais. La beauté du premier jour de l’an, l’inquiétude d’une mère face au départ d’un fils, la foudroyante mélancolie d’un souvenir qui vous fait un croche-pied.
La philatélie des sentiments
Avec Notes de chevet, Sei Shōnagon couronne d’un chef-d’œuvre le genre littéraire du zuihitsu. Encyclopédie intime mêlant listes incroyablement spécifiques d’idiosyncrasies, bribes de vécu, scènes de la vie de cour. Un monument de fragments. 162 chapitres qui n’en sont pas. 162 listes aux noms programmatiques : « Choses qui font battre le cœur », « Choses auxquelles on ne peut s’abandonner », « Chose que l’on entend parfois avec plus d’émotion que d’ordinaire »…
Mais aussi listes de villages, rivières, cascades et montagnes, instruments à cordes, fleurs (dignes et indignes d’admiration), oiseaux (« En général, tout ce qui chante la nuit est charmant. Il n’y a guère que les bébés pour lesquels il n’en soit pourtant pas ainsi. »). Un atlas de lieux qu’on ne verra vraisemblablement jamais mais qui se laisse évoquer comme on appelle un esprit, rien qu’en savourant sa toponymie.
Hokusai, illustrateur
Cette vertigineuse collection d’impressions trouve dans l’édition soignée (choyée) par Citadelles & Mazenod le contrechant parfait : Katsushika Hokusai. Lui qui, de son vivant, a illustré plus de 300 ouvrages, prête ses images à la parole de Shōnagon. Si la Grande Vague de Kanagawa a transformé Hokusai en icône, sa production est foisonnante et variée. On découvre ici l’incroyable pouvoir de ses créations de résonner avec une œuvre pour laquelle elles n’avaient pas été conçues. Dans leur abondance, elles prennent tour à tour des airs d’herbier, de photos de famille, de cartes postales, d’album de figurines. Elles perdent, en quelque sorte, en sainteté mais gagnent en humanité. Tout comme cette liste de personnages qu’on ne connaît pas, de lieux qu’on ne verra jamais et de sentiments que l’on ne savait pas partager à ce point.
EDG.
Parution : 2014 / 352 pages / Reliure japonaise en tissu sous boîtier / Citadelles & Mazenod