Échangés lors des fêtes ou fruits d’un élan impulsif, en France, les dons circulent en électrons libres. Au Japon, nul n’est laissé au hasard : dates symboliques, valeur du cadeau et chorégraphie bien scandée de l’échange. À tel point que le cadeau est un liant fondamental de la société nippone – et une tranche généreuse de son économie.
Le cadeau au Japon : le hasard n’existe pas
« Désolé d’arriver les mains vides, le supermarché était fermé ! » « Moi, je lui ai offert un week-end à Lisbonne. Lui, une boîte de chocolats. » « C’est la crise : cette année, pas de cadeaux à Noël ! » Ces phrases-là, on aura le plaisir (discutable) de les entendre en France. Au Japon, rien n’est moins sûr. Car le cadeau n’est jamais un acte isolé, encore moins un acte impulsif. Il n’est pas intéressé pour autant. Mais voilà, si en France, le don peut faire un solo, au Japon, il danse rigoureusement un pas de deux.
Si l’échange de biens est un pilier de la plupart des cultures humaines, au Japon sa fréquence et son respect en font un liant social premier. Ce qu’on appelle kōsaihi (« dépenses sociales ») est un onglet important des budgets des familles nippones, toutes extractions confondues. Et quand une crise économique frappe le pays, comme en 2008, les cadeaux en subissent les conséquences.
Offerts lors des événements majeurs (naissance, mariage, anniversaire ou rémission d’un maladie), les cadeaux s’échangent également à deux moments-clés de l’année. Il s’agit de la saison du chûgen, de début juillet à mi-août, et du seibo, du milieu à la fin décembre.
Le cadeau au Japon : les mots pour le dire
On se rend vite compte de la place qu’occupe un rituel quand celui-ci se pare de son propre lexique. Le cadeau au Japon se divise en deux grandes familles. D’un côté, il y a le temiyage, le cadeau de remerciement que l’on apporte lors d’une visite. De l’autre, l’omiyage, le cadeau que l’on rapporte de voyage. Car, au Japon, il est impensable de voyager sans penser à ses proches. Les gares et leurs alentours sont riches d’échoppes (les senmonten) de produits alimentaires régionaux, qui pourront aisément être glissés dans la valise vide spécialement embarquée à cet effet. Car oui, le cadeau préféré des Japonais se mange ou se boit… et cela se voit ! D’après l’institut de recherche sur le tourisme, le marché des omiyage représentait, en 2012, 2 500 milliards de ¥, soit vingt-trois milliards d’euros.
Mais cela ne s’arrête pas là. Il y a également le hikidemono, le souvenir de mariage qu’on offre aux invités. Eux, évidemment, auront offert un uchi iwai aux jeunes époux. Quand on se remet d’une maladie, on reçoit de ses proches un kaiki iwai. Même lors d’un deuil, on offre un cadeau : cela s’appelle kôden gaeshi.
L’emballage cadeau traditionnel n’a rien d’anodin non plus. Il consiste d’un papier spécial, appelé kakegami, entouré d’une cordelette, le mizuhiki. Un petit origami décoratif, le noshi, vient parfaire le paquet. La couleur du papier, elle, dépend strictement de l’occasion qui motive l’échange de dons.
Le cadeau au Japon : l’art et la manière
Soigneusement enveloppés dans un furoshiki ou élégamment glissés dans le sac d’une boutique, les cadeaux n’arrivent jamais tout nus entre les mains de leur destinataire. On ne les offre pas devant un large groupe car l’échange pourrait embarrasser les présents. On ne les ouvre jamais devant ceux qui les ont apportés. Ainsi en cas de mauvaise surprise ou d’échange disproportionné, on ne trahira pas son étonnement ou sa déception.
Au moment de l’échange de cadeaux, les Japonais se livrent à une chorégraphie aussi rodée que nécessaire. Des deux mains du donneur, l’objet passe aux deux mains du receveur. Le premier dénigre la valeur de son présent, le second fait mine de le refuser une première fois, avant de succomber, une courbette à la clé.
Les cadeaux étant toujours un échange, ils ne demeurent jamais seuls. Ainsi, même si la (très récente) tradition de la Saint-Valentin préconise aux femmes japonaise d’offrir un cadeau (souvent des chocolats) à leurs amoureux, ceux-ci ont intérêt à leur rendre la pareille un mois plus tard, lors du « White Day ». Il est important que l’échange de cadeaux, dont la valeur générale avoisine les 5000¥, ne soit jamais disproportionné. Si un prix reste malencontreusement collé sur la boîte, cela permettra (en toute discrétion bien sûr) de mettre sa valeur au budget.
Alors, certes, on perd peut-être un peu de la spontanéité occidentale. Mais cet acte incessant de jardinage des relations, cette gymnastique de l’échange, a beaucoup à nous apprendre. Car c’est du mouvement répété, de l’effort prodigué et de l’attention au détail que jaillit la grâce du geste. EDG