Un film de Takuya Kato
Drame | Japon | 1h24 | Au cinéma le 14 août 2024
Une immersion fascinante dans l’intimité de la vie conjugale japonaise, avec l’actrice d’Aristocrats.
Après la perte brutale de son amant, Watako retourne discrètement à sa vie conjugale, sans parler à personne de cet accident. Lorsque les sentiments qu’elle pensait avoir enfouis refont surface, elle comprend que sa vie ne pourra plus être comme avant et décide de se confronter un à un à tous ses problèmes.
BANDE-ANNONCE
« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé » disait Alphonse de Lamartine. « Un seul être vous manque et tout est à repeupler » répond, tout en nuance, Watako, qui a essayé de retourner à sa vie d’avant, l’air de rien, avant d’éprouver la déflagration de la perte. Mais avant que l’être en question vienne à manquer, il s’éprouve, vous exalte. C’est simple : avec Kimura, son amant, Watako renoue avec ses rêves et qui elle est. Ses escapades avec lui sont l’occasion de quitter cette case quotidienne, étriquée, dans laquelle elle se trouve – celle de la vie conjugale sans effusion ni fantaisie, la convenance à l’état pur. Avec Kimura, c’est le contraire : l’envie viscérale de partager des choses, d’explorer le monde, se ressent à chaque instant. Ce n’est pas un hasard si nous les découvrons ensemble pour la première fois en train de faire du « glamping » (hébergement touristique alternatif proche du camping, qui a nourri la trame du dernier film de Ryūsuke Hamaguchi, Le Mal n’existe pas) ! Quoi de mieux que cette bulle architecturale insolite et transparente, qui leur permet de dormir à la belle étoile tout en restant à l’abri, pour décrire leur état de contentement ? Le choix d’un huis clos tourné vers l’extérieur, qui laisse toute la place aux perspectives, vient intelligemment contrebalancer l’usage qui est fait de l’espace quand Watako rentre dans son appartement, auprès de son mari. Leurs interactions ont souvent lieu la nuit (avec comme seule lumière, celle d’une petite lampe artificielle, surplombante et froide), dans un cadre resserré. Le matin, ils ne se croisent pas, la lumière du jour est occultée par les volets. Toute perspective a disparu, sur un plan autant physique que mental. C’est le moment pour Watako de replonger dans son monde intérieur.
Et elle restera immergée, longtemps, un coup du sort lui ayant ravi Kimura. De cela, elle ne parlera à personne – ni à ses proches, ni à son mari. Et personne ne semblera percevoir la nuance pourtant de taille qui s’est glissée en elle, cette attitude évasive, ce regard latent… On dit que la nostalgie est une émotion partageable, communicable aux autres, en cela positive, tandis que la mélancolie est solitaire, empêchant toute résilience. Imaginez combien la mélancolie se vit d’autant plus solitairement au Japon, où l’expression des émotions « perturbantes » est proscrite ! C’est finalement un inconnu, lui-même coupable et victime de son silence, qui percevra ce que traverse Watako, l’amenant à affronter ses vérités intérieures pour ne plus agir au détriment des autres ni d’elle-même. Dans un étrange jeu clair-obscur, il se projettera en elle, la contraindra à agir. « Tout bonheur en ce monde vient de l’ouverture aux autres ; toute souffrance vient de l’enfermement en soi-même ». Sorte de déclencheur, il ne laissera plus d’autre alternative à Watako : assumer ses états d’âme et les transgressions qu’ils impliquent, avec tout un monde à refaire, « à repeupler » – on vous avait prévenu.
Le jeune réalisateur Takuya Kato (30 ans à peine et déjà primé au festival des Trois Continents !) filme avec beaucoup de délicatesse le délitement intérieur de son héroïne, tout comme son échappatoire vers une nouvelle connaissance de soi, salvatrice. On retrouve avec joie tout un panel de merveilleux acteurs, découverts dans des films tout autant merveilleux : Mugi Kadowaki (Aristocrats), Haru Kuroki (La Famille Asada, Dans un jardin qu’on dirait éternel), Kanji Furutachi (l’acteur fétiche de Kōji Fukada) et Shōta Sometani (l’acteur fétiche de Kiyoshi Kurosawa). C’est moderne, suprêmement élégant, jusque dans les décors minutieusement choisis et l’usage de la lumière qui, par instant, révèle un détail avant que l’ombre ne s’y reflète, nous plongeant au cœur de résonances inexprimables, à l’incertaine clarté.
O. J.
Crédits photos : Art House films
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