Invasion de Kiyoshi Kurosawa
avec Kaho, Shôta Sometani, Masahiro Higashide
En salles le 05 Septembre – Japon – 2h20
Pourquoi tout le monde change-t-il soudainement de comportement ? Etsuko est-elle la seule à se rendre compte que son amie, son patron, son mari ne sont plus tout à fait les mêmes ? Peu à peu, elle réalise que si des forces mystérieuses sont en train de prendre l’apparence des hommes, elles échouent à décrypter leurs sentiments. Et celui d’Etsuko envers son mari est encore plus étrange que les autres… Quand un grand metteur en scène Japonais décortique notre humanité, cela donne un film fascinant.
Kiyoshi Kurosawa n’en a décidément pas fini avec les forces mystérieuses. Dans Vers l’autre rive (2015), un fantôme est encore parmi les hommes ; au cœur de Real (2014), une jeune femme flotte entre le coma et le réel ; dans Shokuzai (2012), chaque personnage porte le poids éternel d’une disparition ; et à l’époque de Kaïro (2001), un virus fantomatique contaminait l’humanité via des sites internet. Dans ce même jeu de miroir déformant et d’émotions parallèles, on retrouve Avant que nous disparaissions (sorti en mars dernier), inspiré de la pièce de théâtre de Tomohiro Maekawa, qui lui sert une nouvelle fois de point de départ pour Invasion. Le principe est le même : des forces mystérieuses infiltrent le monde des hommes pour étudier leurs mœurs, les décortiquer et préparer l’invasion. Sauf que cette fois Kurosawa délaisse le ludique et le grand spectacle pour remettre l’homme au cœur de l’histoire, considérant que l’être humain est tout aussi étrange que l’envahisseur, si ce n’est davantage.
Car l’étranger y figure d’abord comme une reproduction basique de l’homme (par son apparence) à qui il va manquer les fondements de notre humanité pour lui ressembler pleinement. L’homme n’est pas une machine mais une matière mouvante : les concepts sont finalement insaisissables, bien que fondamentaux. C’est à travers nos faiblesses que se noue cette profondeur, critique à peine voilée de la société en quête de perfection, à l’ère du transhumanisme : l’homme parfait est finalement une imperfection. Le monde ne peut se réduire à une accumulation de concepts (croissance, chômage, nation… tout ce que les médias et les voix politiques ressassent pourtant inlassablement) qui évacueraient le sens et la profondeur de notre humanité, ses replis poétiques. Le sentiment le plus insondable restant évidemment l’amour, telle une frontière infranchissable qui échapperait à toute forme d’empirisme et d’intellectualisme. « Car l’on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel étant invisible pour les yeux » pour citer un personnage qui transmet cet enseignement au petit prince de Saint-Exupéry.
La densité philosophique de Invasion est d’autant plus sidérante qu’elle évite la surcharge, choisit le minimalisme, et le lyrisme. Très peu d’effets spéciaux numériques, encore moins de scènes d’action échevelées. Une simple pression de doigt sur un front suffit à vider les êtres humains de leur conscience. Kurosawa est un orfèvre. A.M