The fin. Leur dernier album, There, est disponible en format CD/vinyle et digital ou en streaming sur Spotify, Deezer et sur Apple Music.
Trois jeunes musiciens assis l’un à côté de l’autre sur le petit canapé des loges de La Boule Noire, à Paris. La balance d’un groupe de rock résonne, étouffée à travers les portes qui s’ouvrent et se referment. Ils joueront quelques heures plus tard, dans le cadre du MaMa Festival, pour la première fois en France.
Découverte heureuse de The fin. (avec le petit point, s’il vous plaît), un trio d’indie rock originaire de Kobe qui a le vent en poupe en Asie et qui prend de l’ampleur en Europe.
HANABI : The fin. C’est quoi ? C’est qui ?
YUTO UCHINO: Nous sommes The fin., « la nageoire », moi-même, Yuto Uchino, à la voix et au synthé, et mes amis Ryosuke Odagaki à la guitare et Kaoru Nakazawa à la basse. On est amis depuis toujours, on se connaît depuis nos quatre ans. Notre premier groupe – on avait quinze ans – était une cover band. On reprenait des titres de Asian Kung-Fu Generation. Vers seize ans j’ai commencé à écrire ma propre musique. On a fait et défait plusieurs formations et en 2012 on a finalement fondé ce groupe-ci. C’est à cause du guitariste tout ça !
RYOSUKE ODAGAKI : À l’époque j’avais tellement de temps libre que je leur ai demandé de jouer ensemble pour s’amuser.
Y.U. : On a fait un seul concert et ça s’est tellement bien passé qu’on s’est dit : il faut continuer et faire ça sérieusement ! On a joué comme ça, à Kobe, notre ville natale, pendant deux ans, puis on a signé avec un label à Tokyo, Hip Land Music. On y a passé deux ans et demi puis on est parti au Royaume-Uni, où se trouvait notre manager. Maintenant on est de retour au Japon.
H. : Est-ce que partir du Japon vous a influencé ?
Y.U. : Oui, car tout est très différent, la nature, les parfums dans l’air, tout. Ça a été extraordinaire pour moi d’aller dans un monde totalement nouveau.
H. : Comment est perçue votre musique au Japon ?
Y.U. : Au Japon notre musique est en dehors du mainstream, du coup c’est dur d’être au centre de l’attention. Mais on commence à devenir connu en Asie. En fait, je m’en fiche de comment les gens reçoivent ma musique, ce qui m’intéresse, c’est comment j’y transpose mes émotions. Une fois que la musique est faite, c’est fait, c’est fini.
H. Vous jouez désormais devant des milliers de personnes en Asie, vous vous faites connaître en Europe et aux États-Unis. Comment le public réagit-il à votre musique ?
Y.U. : Au Japon, le public est très sage, très poli, il écoute attentivement. En Chine, le public est plus enjoué, plus participatif. Les Thaïlandais ont beaucoup d’énergie. Et les Américains… boivent beaucoup ! Ça me plaît bien, hein, ça me permet de me lâcher aussi. Au Japon tout le monde est très sérieux et moi aussi je dois être carré, je ne peux pas trop faire le fou.
H. : Quelles sont vos inspirations en tant que musicien ?
Y.U. : J’essaie toujours d’être honnête avec ma musique. L’inspiration me vient de ma vie. Quand je suis allé à Londres et Paris pour la première fois, il y a six ans, en touriste, j’ai eu l’impression qu’il y avait tellement de choses qui méritaient d’être exprimées. Je fais comme un collectionneur, je collecte toutes les sensations de mes voyages et de ma vie et je les traduis dans ma musique. Et jusque là ça a été vraiment très chouette. Parfois j’ai l’impression de composer un manuel pour les plus jeunes parce que ma vie est assez étrange par rapport à la vie du Japonais moyen qui travaille dans une boîte du lundi au vendredi. Quand j’étais au lycée, je me disais toujours que j’avais envie de liberté. Mais une fois qu’on l’a, la liberté fait peur. Ma vie est toujours changeante, il n’y a pas de manuel pour ça. Je peux tout faire mais si je ne fais rien, je peux mourir. Ça peut faire très peur, c’est comme avoir un tout petit bateau et naviguer en plein océan sans carte ni compas.
H. : Si vous deviez décrire votre propre musique, comment le feriez-vous ?
Y.U. : Ma musique est calme. Elle n’est pas très émotive, ou plutôt, elle l’est à sa façon. Elle est calme et pleine d’émotions à la fois.
H. : Vous a-t-on déjà reproché, au Japon ou en Europe, de faire une musique très occidentale, loin de la J-pop ?
Y.U. : L’avantage de ne pas être associé à une scène musicale, c’est que je peux faire ce que je veux. J’ai l’impression qu’au Japon il y a une grande pression sur les individus pour vivre et être d’une certaine façon. Moi je voyage beaucoup, je me sens très libre et je suis heureux de ne pas faire partie de la grande scène musicale japonaise ou de la J-pop. Je viens du Japon, certes, mais je ne me suis jamais senti contraint de « faire japonais ». Au début de ma carrière, on m’a demandé d’écrire en japonais, ou de faire plus dans la J-pop mais je n’ai pas pu. Je suis Japonais mais c’est dans ce monde que je vis et je veux aller partout. Je ne veux pas me sentir en cage.
H. : À quoi ressemble la nouvelle scène musicale japonaise ?
Y.U. : Je crois que notre génération est très intéressante. Elle voyage à travers l’Asie entière. On a été le premier groupe à aller en Chine, à Hong Kong, à Taïwan, mais maintenant tout le monde le fait et c’est excellent pour nous, on peut divulguer notre musique vraiment partout. Ça devient de plus en plus grand et, malgré sa petite taille, le Japon est à la tête du mouvement.
H. : Dans ce contexte de contamination musicale, le Japon importe également des autres pays d’Asie ou se limite à exporter ses musiciens?
Y.U. : Le Japon est surtout ouvert aux artistes et aux groupes occidentaux, on en sait beaucoup moins sur la scène asiatique. Pour l’instant, ça va plutôt dans une seule direction.
H: Quels sont vos plans pour le futur proche ?
Y.U. : On aura une grande tournée en Chine et en Asie après la sortie de notre prochain EP et après ce sera le tour de l’Europe.
Quelques heures plus tard, une Boule Noire bondée et dansante se laissera transporter par les rythmes planants, les atmosphères feutrées et le « calme plein d’émotions » de Yuto Uchino et de ses acolytes. Le premier plongeon en France du trio à la nageoire a été accompli avec grâce et profondeur. Qu’ils nous reviennent vite maintenant.
(edg)