Par Julia Cejas
Ils sont jeunes, créatifs, ils s’aiment et ils ont un rêve : quitter leur Espagne natale et partir ensemble au Japon. Quoi de mieux pour un couple amoureux que de découvrir une nouvelle culture à deux ? Mais derrière la beauté des sakuras en fleurs, la réalité du déracinement se révèle dans toutes ses galères, parfois désespérantes et parfois terriblement drôles. Parce que oui, le romantisme en prend un coup quand il faut passer aux toilettes et qu’on partage un minuscule appartement à Tokyo… Cap sur Hanami : Toi, moi, 19 m² et le Japon, délicieuse première œuvre signée Julia Cejas.
acheter le livreÀ l’amour, à la vie, hanami
Notre histoire commence par le début, le début de l’histoire. De l’histoire d’amour, évidemment. Un bar bondé, les amis des amis qui se rencontrent dans le brouhaha de la nuit valencienne et ne se quittent plus. Huit ans plus tard, le voilà : Julia, illustratrice, et Marc, aspirant compositeur pour jeux vidéos. Ils sont toujours aussi amoureux l’un de l’autre mais quelque chose les pousse vers un troisième grand amour : le Japon.
Le Pays du Soleil Levant, dont la culture pop les abreuve, semble un horizon lointain mais pas si inconnu. Quelques économies, sacs à dos et 10 000 km plus tard, voici notre couple espagnol enfin à Tokyo. Mais c’est là où le ba blesse. Et entendez par ba, le ba japonais (場) : un lieu et un temps créant une atmosphère.
Deux pousses déracinées au pays des sakuras
Au fil des saynètes qui composent Hanami : Toi, moi, 19 m² et le Japon, Julia Cejas met en images avec beaucoup d’autodérision tout l’égarement des déracinés volontaires. Bien qu’elle sache que ce séjour au Japon est le voyage de leur vie, la mémoire imprime tout un tas de choses anodines qui deviennent tout d’un coup légendaires de par leur décentrement.
Certes, il y a les codes de conduite et les mystères de la langue. Il y a la tradition millénaire de l’hanami, la contemplation des cerisiers en fleur. Il y a les temples et les rituels. Tout ce qui de loin rentre dans le tiroir mental appelé (par les Occidentaux, bien évidemment) « La-Grande-Et-Ancestrale-Culture-Japonaise ». Mais il y a aussi l’autre culture japonaise, tout aussi vraie et japonaise, bien que moins grande-et-ancestrale. Il y a le prix exorbitant des fruits et légumes, le tri sélectif aux règles complexes et aux sanctions impitoyables, les WC à télécommande.
L’étranger n’est jamais celui qu’on croit
Si Hanami : Toi, moi, 19 m² et le Japon est traversé par l’humour et les galères mémorables, il fait état lucidement d’une réalité moins drôle. Quand on part vers l’inconnu à deux, qui sera l’inconnu à la fin ? Car la distance, le déracinement, les défis personnels et professionnels de deux jeunes indépendants creusent de drôles de chemins dans l’âme de chacun – et pas toujours parallèles à ceux des autres.
En effet, comment s’aimer autant quand on vie, mange, dort et travaille dans un appartement minuscule pour les standards espagnols. Comment faire durer la flamme quand – on ose à peine y penser – il faut faire caca alors que l’autre bosse de l’autre côté de la porte. Comment encaisser les succès ou les doutes de son partenaire quand ce ne sont pas les nôtres ? L’amour pour le Japon avait beau être intense et partagé par Julia et Marc mais que fera-t-il à l’amour entre Julia et Marc à la fin ?
L’auberge hispano-nippo-française
Hanami : Toi, moi, 19 m² et le Japon est une drôle de parabole qui part de Valence, passe par Tokyo et se termine à Angoulème, au Festival de la Bande Dessinée où notre autrice, le cœur battant et un manuscrit en main, va apporter sa première œuvre, celle que vous avez sous les yeux. La boucle est bouclée.
Dans un beau contraste entre le rose de fleurs de cerisier et le bleu ardoise rappelant l’indigo des tissus japonais, l’argentine Julia Cejas livre un journal de bord, un récit initiatique, une lettre d’amour au Japon et à sa culture et un herbier des petites choses. Car, qu’on le veuille ou non, ce sont les petites choses font le souvenir des grands voyages.
EDG
Parution : 2022 / 136 pages / Éditions La Boîte à Bulles / Scénario, dessins et couleurs de Julia Cejas