« French kiss », « french love », « la vie en rose »… Cliché ou réalité, partout dans le monde la France et l’amour vont de paire et chacun a une idée ou un fantasme de ce qu’amour à la française veut dire. Et si on vous demandait : et l’amour à la japonaise ? Tiens tiens, vous êtes tout de suite moins bavards, les lovers…
L’amour est-il inconditionnel ? Grande question. SPOILER ALERT : nous n’allons pas y répondre, trop risqué. Nous pouvons néanmoins nous accorder sur le fait que l’amour est fait des mots qui le composent et, tout comme les Inuits ont cinquante-deux termes pour qualifier la neige (cette même neige qu’un Parisien ne qualifierait que de blanche et chiante), les mots qui définissent l’amour lui donnent sa forme et lui confèrent ses nuances physiques, émotionnelles et sociales. Ainsi, chaque langue a ses mots et ces mots donnent une forme unique à l’amour.
Demandez à un étranger s’il connaît quelques mots de français et ses rudiments linguistiques seront vraisemblablement : « ah, l’amour », « voulez-vous coucher avec moi ce soir » et « oui, je suis Catherine Deneuve ». Trois piliers de l’amour, en somme. Mais demandez à n’importe qui de définir l’amour à la japonaise et voilà que les regards se baissent et les notions se brouillent : ça parle robotique, latex et pornographie mais l’amour demeure inconnu au bataillon des clichés nationaux. Et si des termes viennent à l’esprit, ils définissent des qualités de la solitude plutôt que du vivre à deux.
Avec plus de 30.000 love hotels, un système très élaboré de gōkon (soirées spécialement dédiées aux rencontres), « Love Plus », un jeu vidéo où l’on joue à être en couple, le Japon a le sens de l’infrastructure amoureuse. Et qui dit infrastructure dit pragmatisme. Le modèle culturel occidental a imposé par ses films, sa musique et sa littérature une certaine idée d’amour et de réalisation personnelle toute fondée sur la réussite amoureuse. Et en effet, au Japon, 85,7 % des hommes et 89,3 % des femmes déclarent vouloir se marier mais seulement 19,7 % des hommes et 27,3 % des femmes sont de fait en couple. À cette donnée s’ajoute le chiffre de 42% d’hommes et 44,2% de femmes entre 18 et 34 n’ayant jamais eu de rapports sexuels.
Qu’on le veuille ou pas, l’issue sociale de l’amour demeure, ici comme au Japon, le mariage. Or, qu’on le veuille ou pas, le mariage est une affaire et parce qu’il est une affaire, il faut qu’elle soit bonne. Au moment du grand boum économique japonais, les hommes se sont jetés la tête le première dans un travail acharné et sont devenu les salary men que l’on connaît aujourd’hui (métro, boulot, pachinko, très peu de dodo). Étant peu ou pas présents dans les dynamiques familiales à cause de leurs obligations, leur revenu était et demeure un atout central dans la très discrète danse de la séduction nippone. Or, avec le temps, les femmes ont eu accès au travail et, par le biais du travail, à l’ambition et au manque de temps. Parallèlement, la crise économique s’aggravant, les hommes vivent désormais une grande fragilisation salariale aux répercussions directes et impitoyables sur le marché de l’amour et du mariage.
Si en Italie la seule présence du mot « amore » dans les titres de films suffit à augmenter sensiblement leur succès au box-office, l’amour et le sexe (et les interactions minimums nécessaires à l’obtention de l’un et l’autre) sont perçus comme une source d’embêtements sans fin et une étape pas si fondamentale pour le succès d’un bon ménage. Le pragmatisme nippon a ainsi développé mille et uns recours pour tromper la solitude sans s’encombrer des aléas des relations humaines. L’industrie du sexe est incroyablement florissante, la technologie appliquée au sexe et à l’amour est absolument avant-gardiste, la prostitution, bien qu’illégale, se décline sous une multitude de compagnonnages n’impliquant pas toujours de transaction physique. Parce qu’une chose est permise au Japon alors qu’elle est très mal perçue ici : l’évasion de la réalité. Qu’il s’agisse de la lecture de mangas trash ou à l’eau de rose, de caresser un chat robot, de chérir une poupée en latex ou d’épouser un hologramme, il y a un aspect vertigineusement émouvant dans la dévotion presque religieuse vouée à ces réalités parallèles et dans le respect absolu qu’on leur montre. Mais le risque – et c’est un risque réel – c’est que ce sas d’irréalité devienne la pièce de vie.
À en croire la journaliste du Japan Times Kaori Shoji, « the Japanese suck at this thing called love, and no amount of Valentine’s Day 義理チョコ (girichoko, obligatory chocolates) is going to fix that » . D’autres voix comme celles de Ryūsuke Hamaguchi, le réalisateur de Asako I&II, nous dévoilent une autre facette de cette amour à la japonaise, du cœur si bien caché des Japonais. Comme quoi, et ce à n’importe quelle latitude, il y a bien un trait qui unit toutes les formes d’amour : le paradoxe.
(edg)