Éte 1962. La jeune Nagisa débarque de Tokyo sur l’île de Hegura à la rencontre de sa tante, de son passé et de la communauté des ama, les « femmes de la mer » qui nagent au plus froid et au plus profond de la mer à la recherche de perles et d’ormeaux. Saga familiale et conte féministe, Ama, le souffle des femmes est un plongeon poétique à la découverte d’un métier presque disparu, celui des pêcheuses traditionnelles japonaises, et d’une réalité de résilience féminine à la grande portée symbolique.
Les ama, ou « femmes de la mer », avaient été révélées à l’Occident en 1962 via les clichés transis de l’ethnologue italien Fosco Maraini, happé par le charme ultramarin de ces pêcheuses aux poumons d’acier, dans son ouvrage Hekura, The Diving Girl’s Island. Révélées et non dévoilées, car leur nudité traditionnelle n’avait rien d’autre à offrir au regard que sa propre praticité. À mi-chemin entre la sirène, la chasseresse et la gardienne du temple, l’ama est de nos jours une espèce menacée de femme et de métier, l’une et l’autre ayant été aspirés bon gré mal gré par le tourbillon sale de l’argent qui n’a aucun égard face à ce qui lui tourne le dos – la nature, les saisons, l’attente, l’effort, le corps, la femme.
Dans leur BD Ama, le souffle des femmes, le duo Manguin au scénario et Becq aux illustrations (découverte lors de l’expo « Visions du Japon » à la galerie Achetez de l’Art) dresse un portrait plein de grâce de cette communauté de femmes à la trempe d’acier. Le corps de la femme et le droit d’en disposer librement – pour le travail, le plaisir ou la reproduction – sont l’autre grand thème de cette bande dessinée, le Japon des années 1960 servant de toile de fond pour une bataille qui s’étend, hélas, dans le temps et l’espace et ne semble encore avoir été remportée nulle part.
Le bel indigo qui rappelle le bleu des clichés de Fosco Maraini apporte à cette très chouette BD toute l’ouverture mélancolique du ciel ouvert et l’inconnu trouble des fonds marins. À l’indigo se superpose la nuance crème de ces femmes qui n’ont aucun besoin de demander leur droits d’exister – dans un monde, hélas, persuadé du contraire.
(edg)