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Le Grondement de la montagne, de Mikio Naruse
avec Setsuko Hara, Sô Yamamura, Ken Uehara
En salles le 09 Septembre – Japon – 1h36

Tokyo, 1954. Une famille japonaise : le père, la mère, le fils et son épouse. Sous le même toit, le mari délaisse la femme, son beau-père l’adore, la matriarche observe. Mikio Naruse dresse le portrait d’une famille à l’orée d’une décennie de grands changements de mœurs et au bord du déchirement – ou de ce qu’on appellera ensuite « le dysfonctionnement » – et nous laisse avec ces interrogations : la gentillesse n’est-elle pas de la cruauté masquée ? Un lac est-il forcément sans remous ? Où se cache le véritable courage et l’authentique modernité ?

La 77e édition de la Mostra de Venise s’est ouverte avec le film Lacci (Les liens) de Daniele Luchetti, tiré du roman homonyme de Domenico Starnone.  Une saga familiale sur trente ans qui s’interroge sur les conséquences d’une infidélité et d’un départ, sur la responsabilité qu’ont les parents sur la destinée – souvent peu aboutie – de leurs enfants, sur les meilleures intentions qui sont parfois pavées d’enfer.

 

66 ans avant cette 77e Mostra, de l’autre côté du monde, des interrogations similaires secouaient déjà avec finesse et ambivalence la filmographie de Mikio Naruse (Tokyo, 1905-1969). Dans Le grondement de la montagne, Naruse met une scène une famille qui semble s’imbriquer à merveille comme un puzzle réussi mais qui, à vouloir regarder de plus près, tient en équilibre sur les fils tenus des affects diagonaux. Shingo, le père de famille, observe avec désapprobation les infidélités de son fils Shuichi vis-à-vis de son épouse Kinuko. Kinuko, quant à elle, est adorée par ses beaux-parents et par son beau-père tout particulièrement, bien plus que leur propre fille, mère célibataire de deux enfants qui débarque avec fracas dans une harmonie familiale de moins en moins juste. Quand l’épouse et la maîtresse de Shuichi tombent enceintes pratiquement en même temps, l’une et l’autre, chacune à sa façon, feront définitivement tomber le château de cartes dans lequel tout semblait aller de soi, où les femmes et les hommes tenaient sagement leurs rôles.

 

Ce sont des femmes tout en finesse et en profondeur que Mikio Naruse met en scène dans Le grondement de la montagne. Des femmes « torrent » et des femmes « lac » – comme le personnage de Shuichi décrit sa fougueuse maîtresse et son épouse paisible – mais aussi des femmes roc et des femmes tempête, des femmes tonnerre et des femmes abysse. Alors que leur destin à toutes semble être régi par la bonne volonté ou le caprice des hommes – pères, amants ou époux – elles ressaisissent brusquement la barre.

 

Avec peu de moyens mais une très grande efficacité, le mouton noir des studios Shōchiku ( « À la Shōchiku, on m’autorisait à mettre en scène ; chez P.C.L., on me demandait de mettre en scène. Une différence significative », dans Kinema Junpō, déc. 1960, cité par Leonard Schrader) nous met face à une famille complexe où il est impossible de prendre parti, car, comme nous le rappelle le dernier échange entre la bru et le beau-père dans le somptueux parc impérial de Tokyo, tout est question de vista, de « perspective ».

(edg)