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Un film de Shiori Itō

Japon | 1h40 | Sortie le 12 mars

Note : 4,9/567 avis

Depuis 2015, Shiori Itō défie les archaïsmes de la société japonaise à la suite de son agression par un homme puissant, proche du premier ministre. Seule contre tous et confrontée aux failles du système médiatico-judiciaire, la journaliste mène sa propre enquête, prête à tout pour briser le silence et faire éclater la vérité. 

Voilà un documentaire puissant et fort, pour ne pas dire choc, dont le Pays du Soleil Levant aura du mal à se relever, pour peu qu’il ya soit projeté. Car rien n’arrêtera la journaliste Shiori Itō dans son combat contre Noriyuki Yamaguchi, un éminent responsable de la télévision (et grand ami de l’ex-premier ministre Shinzō Abe, assassiné en 2022). Autant dire que le rapport de force est d’office plus qu’inégal, tout comme ce soir terrible où, droguée à son insu par son agresseur, Shiori Itō n’était pas en capacité de lutter. Avant même l’affaire Weinstein et la vague #MeToo, la jeune femme a osé s’attaquer aux plus hautes sphères du pouvoir et à un système judiciaire suranné (le Code pénal japonais tient compte de la notion de consentement seulement depuis 2023…).  

Dans cette chronique intime et combative s’étalant sur huit années, de ses 25 à ses 33 ans, Shiori Itō nous livre à cœur ouvert son histoire, son parcours, offrant les images de son quotidien mouvementé, tourmenté, et tout son rigoureux travail pour retrouver des traces, des preuves, à même d’étayer son témoignage et de porter l’affaire devant la justice. On retrouve pêle-mêle une batterie d’archives, d’images de caméras embarquées ou de vidéosurveillance, d’enregistrements vocaux et autres appels téléphoniques. Elle finira par mettre le doigt sur un scandale politique digne de Watergate : son agresseur est le biographe du Premier ministre japonais et les autorités policières vont bientôt annuler son mandat d’arrêt… Telle Erin Brockovich, elle va se retrouver seule contre tous dans un monde cruel et sans pitié, où les plus hauts niveaux de l’État feront pression sur elle. À la fois victime, principale enquêtrice, journaliste politique et lanceuse d’alerte. 

« Me reconnaître en victime me briserait. Mon travail est le seul moyen de me protéger » explique-t-elle. Mais le doute, le trop-plein d’émotions et le trouble post-traumatique refont inopinément surface dans sa quête de réparation. Ces angoisses à répétition, Shiori Itō n’est pas la seule femme à les vivre dans une société nippone où seules 4 % des victimes portent plainte. En niant le silence, en usant de sa voix et des moyens d’action que représentent son film et son livre éponyme, elle devient la figure de proue japonaise d’un combat dédié « à toutes les survivantes ». Chemin faisant, on s’émeut devant de sublimes moments de sororité avec ses amies et on s’attache à Shiori Itō, vaillante et souriante devant l’adversité, avec ce brin d’humour décalé dont elle a le secret. En témoigne cette scène où, après avoir subitement trouvé le titre qu’elle a choisi pour son livre – Black Box – elle décide d’entamer une boîte verte pour contrecarrer joyeusement la « boîte noire » : un cubi de vin…  

D’hôtels en hôtels, de taxis en taxis, le Tokyo souvent dépeint dans l’imagerie collective comme hypermoderne et séduisant se mue en une décalcomanie de gratte-ciels étriqués, géométriques, symbolisant l’oppression d’un pouvoir figé, enseveli sous le ciment du conservatisme. Cette plongée au cœur d’un scandale d’état (et d‘une société toute entière) documente avec des accents de thriller une détermination sans failles que ne saurait faire chanceler un long et fastidieux bras de fer judiciaire. Ici comme ailleurs, d’un bout à l’autre du globe, il est grand temps que la honte change de camp.

R. J.